Nourriture immatérielle de tout être vivant, c’est le souffle qui donne corps à la voix. Mais comment agir sur l’invisible, l’impalpable? Comment libérer le souffle de ses entraves pour aider chacun à trouver sa vraie voix, à nulle autre pareille, …. et peut-être aussi sa voie?
A point nommé, il s’est présenté à moi une méthode de travail du souffle et de la voix1 qui, usant progressivement les tensions accumulées au cours des années, rétablissant une respiration profonde, ancrée dans le bas-ventre et rectifiant la verticalité, libère l’énergie qui se déploie alors dans la force et la qualité de la voix et se manifeste dans bien d’autres domaines….
Mais cela ne se fait pas sans un bouleversement à la fois physique et moral auquel il serait vain de s’opposer : on se trouve engagé sans retour, sur un chemin, sans bien savoir oû l’on va, on ne peut plus que faire confiance à la vie que l’on sent malgré tout sourdre en soi.
Il faut lâcher prise, passer par une sorte de mort. Rester en apnée, poumons vides ou poumons pleins, le plus longtemps possible, le faire expérimenter très concrètement ; de même que tenir dans une posture inconfortable en étant attentif au son du piano et à la voix du maître qui guide et encourage, oblige à vivre le moment présent : il n’y a plus guère de place pour les pensées, les souvenirs, bref le mental. Vivre le moment présent, c’est aussi l’acceptation de soi, tel qu’on est dans l’instant, émettant parfois des sons fort peu harmonieux ou, surprise ! Des sons très beaux dont on ne se croyait pas capable : c’est donc l’ouverture à l’inattendu… C’est là qu’on touche au côté spirituel de ce travail. Mais il faut du temps pour en prendre conscience.
Conscience de la qualité particulière d’attention, de respect, de présence - presque de communion -, entre les membres du groupe qui sont dans le même souffle et dans la même énergie, qualité que je n’ai pas très souvent rencontrée dans des groupes liés seulement par la croyance ou l’idéologie.
Conscience des changements qui se sont opérés quasi à notre insu et qui laissent étonné et reconnaissant pour ce qui naît en nous et qui en même temps semble venu d’un ailleurs inconnu : force intérieure qui donne stabilité, équilibre, sérénité devant les aléas de la vie, joie d’être, sans pourquoi. Tout cela, je l’ai vécu sans référence religieuse ou philosophique. Bien après j’ai découvert que cette expérience spirituelle que je continuais à vivre ressemblait à l’abandon à Dieu dont parlent des auteurs spirituels. Et cela m’était donné non par un effort de volonté mais par un travail corporel sérieusement poursuivi.
L’inattendu a été aussi entre autres cette nécessité intérieure qui s’est imposée à moi et que je n’aurais pas laissé émerger auparavant, de pratiquer la méditation silencieuse dans l’esprit du zen : moments de concentration sur la posture juste, sur la respiration. Pratique corporelle exigeante qui libère le mental et qui m’a fait découvrir ensuite dans la tradition chrétienne orientale (prière du cœur, Pères du désert) la place accordée au corps, à la respiration, alors que depuis des années, j’étais mal à l’aise avec le christianisme occidental qui me paraissait trop intellectuel.
Alors, retour aux sources? Oui, mais pas au point de départ, tout comme pour ce marocain arrivé tout jeune en Belgique, qui, après avoir pratiqué cette méthode, s’est orienté vers le soufisme, courant mystique de l’islam. C’est un approfondissement, un enrichissement, une sorte de renaissance. Sur cette voie, j’ai trouvé beaucoup plus que ce que je cherchais consciemment pour mon souffle et ma voix : unité intérieure entre le corps et l’esprit, entre ma foi et ma vie, convergence des orientations spirituelles à travers la diversité des traditions.
La voie reste ouverte jusqu’au jour oû il faudra « expirer » une dernière fois pour laisser le souffle retourner à la Source infinie.
Claire Lavant
Décembre 2003
1 Serge Wilfart « Le chant de l’être » chez Albin Michel, 1994